“Un monde coloré et un avenir partagé”, intervention de Rémy Aron à la Biennale de Pékin

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Rémy Aron, intervention à la Biennale de Pékin 2019

Intervention de Rémy Aron à la Biennale de Pékin.

Si l’on mélange toutes les couleurs cela donne un ton indéfini et propose à notre regard une grisaille incertaine qui paraît sans attrait.

Mais en portant une attention plus grande à ce mélange, qui n’est en vérité que la réalité de notre humanité car nous sommes tous de la même espèce, on va pouvoir retrouver la nécessité de la nuance.

En effet, comme le disait le grand poète français Paul Verlaine,

Il nous faut de la nuance avant toute chose…

« Car nous voulons la Nuance encor,

Pas la Couleur, rien que la nuance !

Oh ! la nuance seule fiance

Le rêve au rêve et la flûte au cor »

Et le peintre Paul Cézanne dit aussi qu’il ne voyait que des gris dans la nature alors que l’on sait combien ses tableaux sont architecturés par le ton et la couleur juste.

C’est bien là, à mon avis, avec la nuance que se trouve la poésie picturale avec la conscience raisonnable des rapports harmonieux.

En effet, la couleur doit être suggérée et les rapports de tons plus recherchés que la violence du cirque contemporain et des images désaccordées et vulgaires, produites par les nouvelles technologies qui nous assaillent en permanence dans notre quotidien.

La globalisation du goût en occident et, le marché de l’art international qui est devenu presque exclusivement financier, depuis la fin de la dernière guerre mondiale sont une mauvaise direction pour la survie spirituelle de l’humanité.

L’évolution, politique, scientifique, idéologique et historique, engendrée par de multiples facteurs durant tout le 20ème siècle en Occident nous a amené face à ce mur de la triste uniformisation.

Par ailleurs, notre terre, peuplée de notre humanité, est un village que l’on sait trop bien, aujourd’hui, très limité.

Il nous faut impérativement tenir compte de ses limites pour le futur de notre terre et de nos arts en particulier.

Notre maison commune est divisée en de multiples appartements qui ont tous une spécificité originale.

D’ailleurs, souvenons-nous de la parole du grand Boileau dans l’art poétique qui suggérait tellement bien les limites nécessaires, le format, qui doit présider à toutes les compositions pour une œuvre poétique.

Il évoquait en quelques vers toutes les grandes motivations qui nous font agir comme artistes :

« Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;

Que le début, la fin répondent au milieu ;

Que d’un art délicat les pièces assorties

N’y forment qu’un seul tout de diverses parties »

Nous devons en effet tous reprendre conscience que l’art commence par l’affirmation, et je dirais presque la vénération, des limites.

Les limites de notre tableau, cette surface que nous nous donnons comme peintre, sont notre liberté et nous permettent de plonger dans l’aventure picturale, et d’inventer l’espace plastique. C’est dans ce format que nous écrivons nos émotions et les mettons en ordre dans une articulation et une hiérarchisation de formes assemblées.

Nous créons des compositions que l’on souhaite les plus cohérentes possibles dans le langage des surfaces plastiques et nous voulons qu’elles expriment avec l’originalité de notre sentiment intérieur, le souhait de l’unité qui est en chacun d’entre nous.

En effet ce désir d’unité est bien ce qui nous fait vivre comme artiste !

Là est le moteur de nos créations, de notre envie, de notre respiration au monde.

Ce désir d’unité, dans la diversité des expériences et des pratiques, porte témoignage de ce que nous pouvons espérer de la société tout entière.

L’unité dans la diversité des nuances est bien notre crédo.

Nous savons bien aujourd’hui que chaque individu comme chaque espèce vivante possède dans lui-même une originalité. La science nous le montre tous les jours par les découvertes successives autour de l’origine du vivant.

 

La diversité des sociétés humaines après tous les cycles de l’évolution, concrétise bien des données génétiques qui se sont cristallisées.

Mais l’esprit humain est riche aussi de ses apprentissages et de sa culture, je veux dire de l’environnement culturel dans lequel il est né et s’est développé.

Cette « culture » dépend de sa formation dans la tradition de la société à laquelle il appartient. En effet l’homme a besoin des racines de son environnement culturel pour se construire et que son cerveau atteigne sa maturité.

Les grandes civilisations ont produit des différences. Ces différences d’approche sont incontestablement une richesse, pour l’individu et pour l’humanité tout entière.

Cette diversité des nuances certainement plus que des couleurs lui permettra d’éviter l’ennui qui serait la pire chose qui puisse arriver à notre monde car il faut absolument tenter d’éviter l’uniformisation !

En effet, ces différences sont bien le sel de la vie, même si nous avons aujourd’hui du mal avec le bruit général de la philosophie ambiante du progrès et de l’universalisme, à les percevoir clairement. Ce sont elles qui font chanter la vie et donnent des musiques délicieuses à la délectation des choses de l’art.

Mais ne pensons pas que ce soit chose aisée et n’oublions pas ce que disait André Gide par une formule lapidaire de la création artistique :

« L’art nait de luttes, vit de contraintes et mœurs de liberté. »

Aujourd’hui, je le souligne, il faut bien revenir à la bonne compréhension de la composition artistique.

Car pour être harmonieuse une œuvre d’art doit certainement procéder d’ordre et de hiérarchisation des valeurs.

Mais cette bonne méthode doit rester ancrée dans la culture spécifique de chaque peuple et de chaque civilisation afin que la diversité et la profondeur des expressions culturelles puissent s’exprimer pleinement et conserver une originalité de caractère en accord avec les racines des peuples.

Pour finir ces quelques mots je pense que le moment historique est venu après un siècle de bouleversement politiques économiques et culturels, de retrouver le regard sur les choses simples et naturelles.

Pour les peintres il s’agit du regard sur la nature et d’entrer à nouveau dans la compréhension de ce vocabulaire irremplaçable que la lumière nous révèle.

C’est bien pourquoi je suis convaincu que le monde a besoin des peintres car ils aident à voir les formes merveilleuses que nous offrent le monde.

La circulation lumineuse révèle un spectacle extraordinaire au peintre qui est simplement le passeur du grand combat qui se déroule sous ses yeux de l’ombre de la lumière.

Il en extrait des configurations originales qu’il fixe dans des moments d’éternité.

Cette attitude naturelle permettra le vrai dialogue enrichissant de nos différences.

D’ailleurs la biennale de Pékin, nous offre une merveilleuse représentation de la diversité des expressions internationales. Car sa structure d’organisation et de sélection par les artistes et pour les artistes ainsi que par sa philosophie, doit rester la plate-forme indispensable du dialogue des artistes plasticiens du monde.

Nous devons tous aussi, d’un point de vue écologique et pour le développement durable de notre planète, encourager les peintres à reprendre le dialogue avec la nature. Cette proximité professionnelle avec la nature n’a, il faut le souligner ici, jamais été abandonnée par les peintres chinois.

Les peintures produites dans cette direction seront bien des témoignages, des traces de respect et d’amour envers, notre terre commune et pour notre humanité toute entière, afin qu’elle vive dans la paix et l’harmonie.

 

Les peintures que vous avez vues représentent 5 siècles de la peinture européenne. Voici les peintures montrées :

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